Les perles de la presse
Par Annie Lobé, journaliste scientifique. Mis à jour le 28 mars 2010.
Le dossier complet
Les lampes basse consommation (LBC) présentent quatre inconvénients majeurs : elles contiennent du mercure et émettent à la fois des UV, des radiofréquences et des champs magnétiques. Personne ne peut plus le nier. Mais la presse, allez savoir pourquoi, s’est mise en quatre pour nous persuader de les utiliser quand même. Toutefois les journalistes, sans doute pas totalement convaincus, ont glissé dans leurs articles les perles que voici.
Mini collecte, pseudo recyclage et enfouissement
Sciences et Vie ouvre le bal en septembre 2009 avec la révélation que seulement 30 % du marché français des 30 millions de LBC sont collectées après usage. Sont-elles recyclées ? Que nenni ! “Le mercure récupéré sera chimiquement stabilisé puis enfoui sous conteneur scellé dans des centres de stockage spéciaux,” déclare Hervé Grimaud, directeur général de l’“éco-organisme agréé” Récylum[1].
Il s’agit donc d’un traitement presque digne de celui des déchets nucléaires. Si de telles précautions sont prises, c’est que le mercure ne doit pas être aussi inoffensif que le prétend l’article, qui affirme : “Le dossier mercure ne semble pas préoccupant.”
Même comparé aux 15 % cités en 2005 par le Canard Enchaîné[2], 30 %, c’est peu. Ce taux de collecte va-t-il s’améliorer ? Hervé Grimaud est modérément optimiste : “À terme, nous espérons parvenir à dépasser les deux tiers.” Mais “à terme”, c’est quand ?
Le mercure destiné à la chaîne alimentaire
Et surtout, que devient le mercure des lampes non collectées ? Le magazine mensuel Quelle santé répond en janvier 2010, citant l’Association Santé Environnement France (ASEF) qui regroupe 2 500 médecins : “Le mercure des ampoules non recyclées [ou plutôt non collectées…] s’accumulera immanquablement dans l’environnement. Et se retrouvera fatalement, à plus ou moins long terme, dans la chaîne alimentaire[3].”
L’article affirme par ailleurs : “Si les lampes basse consommation ont bien un atout, c’est celui de durer une éternité.” L’ajout de mercure dans la chaîne alimentaire est effectivement “durable”, mais on voit mal comment cette éco-contamination pourrait être considérée comme un atout…
En cas de bris, gare à l’air contaminé par le mercure
Les troubles provoqués par le mercure sont, d’après Sciences et Vie, “liés à des expositions élevées”. Le docteur Robert Garnier, du Centre antipoison de l’hôpital Fernand-Widal à Paris, précise quelles sont ces “expositions élevées” : “Les données épidémiologiques montrent que les troubles neurologiques apparaissent en cas d’exposition prolongée à des teneurs minimales de 15 à 30 microgrammes par mètre cube d’air.”
La teneur en mercure d’une lampe de 5 milligrammes, soit 5 000 microgrammes, est donc 160 à 330 fois plus élevée que ces valeurs “élevées”…
“Les valeurs à ne pas dépasser actuellement considérées comme sûres varient de 0,05 à 0,2 microgrammes par mètre cube d’air,” poursuit le Dr Garnier[4]. Soit cent mille (100 000) à vingt-cinq mille (25 000) fois moins que la teneur en mercure d’une seule lampe !
Quelle santé a fait réaliser des tests de bris d’ampoule par des chercheurs du laboratoire TERA Environnement. Résultats : “Cette étude montre que, lors du bris d’une ampoule fluocompacte, du mercure se dégage et ce, quelle que soit l’ampoule testée. Une partie du mercure restant un temps contre les parois, celui-ci ne dégaze pas intégralement au moment même du bris mais la quasi-totalité du mercure est dégazée dans l’air de la pièce pendant la première heure suivant le bris.”
Pour tenter de quantifier la contamination mercurielle de l’air, les chercheurs ont brisé chaque ampoule dans une boîte (type Tupperware, volume 6 litres), puis fermé immédiatement la boîte et effectué une mesure 15 minutes et 1 heure plus tard sur des points de prélèvement “directement connectés à la boîte”.
Le graphique de la concentration de mercure dans l’air de la boîte montre selon les modèles, après 15 minutes, des teneurs de 7,9 à 249 microgrammes par mètre cube d’air et, après 1 heure, de 4,5 à 585,5 microgrammes par mètre cube d’air[5].
Mais le mercure volatilisé avant la fermeture de la boîte n’est pas comptabilisé. De plus, pour trois modèles sur quatre, les valeurs mesurées après 1 heure sont inférieures à celles mesurées après 15 minutes. Ce qui signifie que la boîte n’était pas étanche.
Espérons que les chercheurs étaient équipés de masques à gaz, sans quoi ils pourront bientôt proposer à Quelle santé un article sur les effets du mercure in vivo…
Toujours est-il que le bris d’une lampe provoque bien des émanations de mercure à des niveaux qui peuvent être largement supérieurs aux valeurs “élevées” susceptibles, selon le Dr Garnier, de provoquer des troubles.
Et il faut préciser qu’il n’est pas nécessaire d’être exposé au mercure de façon chronique pour être intoxiqué. Cela ressort clairement du texte publié en juin 2007 par Marie Grosman et le professeur André Picot, toxico-chimiste et directeur de recherche honoraire du CNRS[6] :
“Le mercure métallique sous forme de vapeurs est en grande majorité inhalé, puis transféré à 80 % dans le sang où il peut être oxydé. Il traverse rapidement la barrière hémato-encéphallique (BHE) grâce à sa lipophilie partielle. Au niveau des cellules gliales (cellules nourricières et protectrices des neurones), il est oxydé par le peroxyde d’hydrogène (eau oxygénée) en présence d’une peroxydase, la catalase, et transformé en final en cations mercuriques (Hg2+), incapables de retraverser la BHE.
Bloqué sous forme de complexes insolubles avec les composés biologiques soufrés, le mercure inorganique s’accumule alors peu à peu dans le cerveau pour des années voire des décennies.
Le mercure est donc un toxique cumulatif (phénomène de bioaccumulation), tout comme le sont des éléments proches : plomb, bismuth, cadmium,… (métaux traces toxiques).
Ce sont donc les cations mercuriques accumulés dans le cerveau qui sont responsables des effets délétères consécutifs à l’inhalation de vapeurs de mercure.”
Mais la conclusion de Sciences et Vie est tout autre : “En réalité, si risque il y a, il est faible, ‘à condition de rester vigilant et de bien avertir le public sur la démarche à suivre en cas de casse’, souligne le Dr Garnier”.
Le bris d’une ampoule se produit généralement en présence de celui qui l’a laissée choir et va donc instantanément inhaler le mercure libéré. Et il faut savoir que le mercure a une fâcheuse tendance à s’imprégner dans les tissus (rideaux, canapés, etc.) d’où il continue à dégazer sournoisement pendant longtemps.[7]
Pour que la “démarche à suivre” soit “en réalité” efficace, qu’il me soit permis de proposer, à titre d’exercice, un enchaînement de réactions auquel tout utilisateur de LBC serait bien avisé de s’entraîner pour le cas où : bloquer sa respiration et, tout en maintenant son souffle coupé, s’éloigner précipitamment, ouvrir les fenêtres, s’assurer que le courant d’air ainsi provoqué se dirige bien vers l’extérieur et non vers d’autres pièces du logement. Puis quitter la pièce en fermant la porte. Inspirer. Souffler. Après une bonne heure d’aération, il faudra, avec l’aide d’une balayette, enfermer les morceaux dans un Tupperware®, jeter le tout dans un solide sac plastique (balayette incluse) et apporter immédiatement ce sac… Tiens, où au fait ? Voir plus loin la réponse de Récylum, qui ne manque pas de sel…
Il convient également de se soucier des magasins qui commercialisent ce type de lampes, régulièrement cassées lors de la manutention ou par des clients sans qu’aucune ventilation spécifique ne soit mise en œuvre (selon le directeur d’un magasin de bricolage). Le même problème survient à proximité des bacs de collecte généralement placés près de l’entrée desdits magasins, non loin des caisses.
Quelle santé nous prévient : “L’exposition chronique à de faibles doses de vapeurs de mercure cause des atteintes du système nerveux central particulièrement chez le fœtus et l’enfant en croissance”. Faut-il en conclure que les femmes enceintes et les personnes accompagnées de jeunes enfants doivent éviter de mettre les pieds dans un magasin de bricolage ?
“Faut-il boycotter les lampes basse conso ?” demande Quelle santé. Pour ma part, j’ajouterais une seconde question : faut-il boycotter les magasins qui vendent ou collectent ces ampoules ?
Question pertinente puisque Quelle santé signale que “3 000 des 4 200 déchetteries françaises reprendraient ces ampoules.” Pourquoi pas la totalité ? Pourquoi 30 % des déchetteries refuseraient-elles ces ampoules ? Ne sont-elles pas équipées pour collecter ces “déchets dangereux” ? Mais dans ce cas, comment peut-on nous inciter à les déposer dans des magasins où, comme le souligne l’ASEF, “le personnel n’a pas reçu une formation ad hoc et n’est souvent même pas informé des procédures de récupération” ?
Et que faire d’une lampe cassée ? “Doit-on aussi rapporter une lampe brisée ?” s’interroge 60 millions de consommateurs en janvier 2010[8]. Réponse de Récylum : “Non. En cas de bris, le mercure très volatil s’échappe. La quantité est faible et il n’y a pas de risque, a priori, pour les personnes se trouvant à proximité.”
Il semblerait que, chez Récylum aussi, la formation et l’information, a priori comme a posteriori, fassent quelque peu défaut…
Il en va de même au Syndicat de l’éclairage, interrogé par Rue89.com[9], où l’on assène que : “Si le mercure était potentiellement dangereux, ce serait à l’occasion d’un bris de lampe. Mais les vapeurs qui sortent ne sont pas dangereuses à ces dosages, d’autant que le mercure s’incorpore dans le verre de la lampe au fur et à mesure de son utilisation et en fin de vie, il y a encore moins de mercure dans la lampe.”
Mais s’il y a “moins de mercure” dans les vieilles lampes, ne serait-ce pas plutôt en raison des fuites de ce gaz de mercure contenu dans le verre, au niveau du sertissage des électrodes générant les radiofréquences qui provoquent l’ionisation du mercure ?
Une teneur en mercure invérifiable
Vu la toxicité de quelques dizaines de microgrammes de vapeurs de mercure, la teneur de ces lampes, plusieurs centaines de fois supérieure, en milligrammes de vapeurs de mercure, n’est pas un simple détail.
Or, les chiffres annoncés varient : “De 2 à 5 mg” par lampe selon Rue89.com, citant le Syndicat de l’éclairage, le 22 août 2009 ; “3 mg par lampe” selon Sciences et Vie de septembre 2009, citant Hervé Lefebvre, chef adjoint du département Marché et services d’efficacité énergétique de l’ADEME, le Monsieur-Ampoule-Basse-Consommation français depuis vingt ans ; “0,005 % de mercure mélangé au gaz inerte contenu dans le tube”, selon Quelle santé en janvier 2010, citant également l’ADEME ; “Entre 1 et 3 mg”, selon 60 millions de consommateurs, toujours en janvier 2010.
Que de versions différentes ! Cela est d’autant plus surprenant que les sources consultées sont si étroitement liées que les logos des uns se trouvent sur le site Internet des autres…
“La directive européenne ROHS[10] impose un maximum de 5 mg par lampe”, assure Rue89.com. Une limite toute relative, qui laisse le champ libre aux fabricants.
Car, que les promoteurs de ces ampoules au mercure annoncent 1, 2, 3 ou 5 mg, il est tout bonnement impossible de contrôler la teneur réelle en mercure de ces ampoules fabriquées pour la plupart en Chine.
Ce qui est sûr, c’est que le mercure des centaines de millions de lampes mises sur le marché à l’échelle planétaire et non collectées en fin de vie se retrouvera un jour dans l’environnement et donc, dans la chaîne alimentaire.
Tests produits : promesses non tenues
60 millions de consommateurs, la revue officielle de l’Institut national de la consommation, a testé 14 modèles de LBC. Mais l’essai s’arrête au bout de 4 000 heures (soit 4 ans à raison de 1 000 heures par an, représentant environ trois heures d’allumage par jour).
Les LBC sont pourtant censées durer 6 000 à 8 000 heures, voire 10 000 à 15 000 heures. Pourquoi avoir réduit la durée de l’essai ? Et surtout, pourquoi avoir calculé les économies réalisées sur 10 ans, alors que l’essai n’a aucunement prouvé que les lampes ont effectivement une telle longévité ?
Voici les inconvénients mis à jour par ce test publié en janvier 2010 :
“Nous avons alterné deux heures d’allumage et cinq minutes d’extinction pendant 4 000 heures, soit l’équivalent de quatre ans dans une pièce à vivre. Bien que les fabricants annoncent tous plus de 6 000 heures d’endurance [soit 6 ans], huit modèles seulement sur quatorze ont vu leur lot de cinq lampes arriver intact au bout de l’essai.” ; (p. 45)
“En cas d’allumages répétés, elles rendent l’âme prématurément.” ; (p. 50)
“À raison de 10 allumages par jour, 74 % des lampes testées (cinq par modèle) ne passeraient pas le cap des trois ans de fonctionnement !” ; (p. 45)
“Deux échantillons du même modèle de la même marque n’ont pas forcément les mêmes performances.” ; (p. 44)
“Il y a trop d’écarts de qualité entre les échantillons d’une même référence.” ; (p. 50)
“L’indice de rendu des couleurs (IRC) d’une lampe à incandescence est de 100, ce qui est idéal. (…) On considère qu’un éclairage est agréable avec un IRC de 80, ce qui est le cas de la majorité des lampes de l’essai.” ; (p. 45)
“Le flux lumineux baisse avec le temps.” ; (p. 42)
“Les flux lumineux diminuent jusqu’à plus de 20 % [après 1 500 heures]” ; (p. 45)
La principale promesse non tenue concerne la non-garantie de la durée de vie.
Or, il s’agit d’un point essentiel, car c’est précisément leur durée de vie qui détermine l’intérêt économique de ces ampoules. En effet, leur coût d’achat plus élevé traduit un coût de fabrication plus élevé. Seule une durée d’utilisation plus longue permet, du fait de leur moindre consommation d’électricité, de légitimer leur utilisation par les “économies” réalisées.
À cet égard, le test de 60 millions est tout sauf probant, puisqu’il ne démontre pas que la durée promise est bien atteinte, mais plutôt le contraire.
Une arnaque économique, en plus de l’arnaque environnementale ?
La capote pour ampoule basse consommation
La palme des perles de la presse revient au gratuit Biocontact de novembre 2009[11], distribué dans les magasins bio, qui propose, parmi un fatras de publicités pour des bidules de protection, un étui en fils d’acier inoxydable tissés, censé arrêter une partie du rayonnement électromagnétique des LBC. Astucieusement tronquée en hauteur, la photo de cette “capote” masque un aspect essentiel : les cordons de l’étui doivent impérativement être raccordés au fil de terre… lequel est absent de la plupart des points d’éclairage. On n’ose imaginer ce qui pourrait se passer en cas d’installation électrique défectueuse. D’ailleurs, l’article ne précise pas si cet accessoire est homologué.
Valse des chiffres et des faits
Last but not least, les sons de cloche diffèrent de façon importante selon les sources.
Ainsi Hervé Grimaud, le directeur général de Récylum, affirme dans Sciences et Vie : “Nous n’existons que depuis 2005”, tandis que d’après Quelle santé, Récylum a été agréé le 15 novembre 2006.
Et l’ADEME affirme dans Quelle santé : “En 2008, 700 tonnes de lampes basse consommation ont été traitées par Récylum, soit un taux de retour de 18 % environ.” Mais dans Sciences et Vie quatre mois plus tôt, le directeur de Récylum annonçait, comme nous l’avons vu, un taux de 30 %.
Quelle santé déclare, contredisant Sciences et Vie : “Le mercure extrait et recyclé entre dans la composition de matériel neuf.” Mais selon Rue89, le mercure s’incorpore dans le verre au fil du temps. Comment l’en extraire pour le “recycler” ? Mystère !
Et comment interpréter cette valse des chiffres et des faits dans des médias qui, d’un côté, promettent “la vérité” sur les ampoules basse consommation et, de l’autre, acceptent de servir de support publicitaire pour Récylum ou EDF…
Texte mis à jour le 28 mars 2010. Les sources citées en notes peuvent être consultées en ligne sur www.santepublique-editions.fr.
[1] Sciences et Vie n° 1104, septembre 2010 : La vérité sur les ampoules basse conso, p. 74-79.
[3] Quelle santé n° 45, janvier 2010 : La vérité sur les ampoules basse consommation, p. 20-26.
[4] Mais dans un document de juin 2008 intitulé Risques liés à l’exposition prénatale et postnatale au mercure, Marie Grosman et le toxico-chimiste André Picot écrivent : “Étant donné les effets redoutables du mercure, (…) il semble impossible de définir pour les enfants un seuil d’exposition sans risques.” Source : http://atctoxicologie.free.fr
[5] Pour l’ampoule n° 2, le graphique montre une valeur de 205,8 microgrammes mais le chiffre indiqué est 2005,8 (!).
[7] Françoise Cambayrac, Vérité sur les maladies émergentes, éditions Marco Pietteur.
[8] 60 millions de consommateurs n° 445, janvier 2010 : Lampes basse consommation : le compte à rebours a commencé, p. 40-50.
[9] Rue89.com, mis en ligne le 22 août 2009 : Non, l’ampoule basse consommation n’est pas dangereuse.
[10] “Restriction of (certain) Hazardous Substances in electrical and electronic equipment”.
[11] Biocontact n° 197, novembre 2009, article signé Claude Bossard, p. 62.
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