Téléphone portable

Résultats de l’étude Interphone

Téléphone portable
et cancer du cerveau

Par Annie Lobé, journaliste scientifique.
Mis à jour le 22 juin 2010.

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“Envoyez des emails[1]”. C’est-à-dire : achetez un nouveau téléphone portable 3G, ou smartphone. Ce conseil des “experts” qui viennent de rendre public le résultat global d’une étude sur le lien entre l’usage du portable et le cancer du cerveau tombe à point nommé pour les industriels de la téléphonie: le marché 3G est aujourd’hui assez mûr pour profiter de ce nouveau coup de pouce donné par la “science officielle”. Mais cette étude lancée en 1999 était terminée depuis 2003. Le public sera-t-il dupe de la supercherie ?

Les jeunes : exclus du protocole de l’étude

“Si les portables étaient dangereux, leur vente serait interdite”. Celui qui m’assène cette phrase est tout à fait sûr de lui. Il a 14 ans. Et il faut avoir 14 ans pour croire, dur comme fer, une chose pareille.

Arnaud, lui, a 22 ans. Il m’écrit : “Je possède 3 téléphones portables, 1 personnel et 2 professionnels, qui sont en permanence dans mes poches, et la nuit dans le lit pour être joignable 24/24. Et je passe entre 12 et 16 heures par jour avec mon ordinateur portable sur les genoux. Et sur les lieux où je suis le plus souvent, je capte en permanence entre 10 et 15 réseaux wi-fi[2].”

Pour ces jeunes gens, l’étude Interphone dont le résultat global vient d’être officiellement rendu public mardi 18 mai 2010 par Elisabeth Cardis[3], sur la radio de l’Organisation des Nations Unies, ne pourra être d’aucune utilité : les moins de 30 ans étaient exclus de cette étude lancée en 1999 dans treize pays industrialisés[4].

Durée d’exposition mal définie

La publication consolidée de ses résultats a été repoussée d’année en année, mais cette étude est bel et bien terminée depuis 6 ans. Elle concerne donc l’époque révolue où une demi-heure de téléphone portable par jour faisait de vous un “gros utilisateur” (10 % des 6 700 personnes atteintes d’un cancer du cerveau incluses dans cette étude, soit 670 personnes, ou “cas”, utilisaient leur portable une demi-heure par jour[5]).

Les 6 030 autres “cas” utilisaient leur portable moins d’une demi-heure par jour. Et pour savoir si l’usage du portable a été la cause des cancers, comment les épidémiologistes ont-ils procédé ? Ils ont quantifié la consommation de portable de 7 658 personnes[6] non atteintes de cancer cérébral (témoins) et l’ont comparée avec celle des “cas”.

Mais pour quantifier la durée d’utilisation, a-t-on collecté les factures téléphoniques des uns et des autres ? Non, les chercheurs se sont contentés de questions écrites faisant appel à la mémoire des personnes interrogées, avec un taux de 65 % de non-réponse chez les non-malades.

Autant dire que cette étude est basée sur du vent[7].

Dans le jargon des épidémiologistes, cela s’appelle une étude “cas-témoins”. L’ex-directeur général de la Santé, Lucien Abenhaim, lui-même épidémiologiste, déclarait déjà en 2002 au Sénat, lors d’un colloque sur la téléphonie mobile[8] : “La science court après le phénomène d’exposition.”

Comment faut-il comprendre les résultats d’Interphone ? Les personnes non encore atteintes de cancer du cerveau ont utilisé le portable presque autant que celles déjà atteintes. Telle est la traduction, en langage courant, des résultats d’Interphone. L’on est fondé à douter de la pertinence de la méthodologie employée pour savoir si l’usage du portable déclenche le cancer cérébral.

Alors, comment procéder pour répondre à cette lancinante question ? Il faudrait examiner par autopsie le cerveau de personnes décédées, quelle que soit la cause du décès, et collecter l’ensemble de leurs factures de téléphone mobile et fixe, pour celles équipées à domicile d’un téléphone sans fil, lequel fonctionne comme le portable par émission-réception de micro-ondes pulsées à extrêmement basse fréquence (usage non pris en compte dans l’étude Interphone).

Pour quantifier l’exposition sans erreur, une telle étude n’inclurait que des personnes seules n’utilisant pas le téléphone sans-fil sur leur lieu de travail. Et pour qualifier l’exposition, l’usage ou non d’une oreillette filaire ou sans fil serait également pris en compte, ainsi que la marque et le modèle utilisés, puisque tous les appareils n’ont pas la même intensité d’émission (DAS[9]).

Un tel protocole permettrait d’établir une corrélation entre la durée de l’exposition et  les dommages causés au cerveau, qui ne se limitent pas au cancer mais peuvent être de plusieurs ordres. Ainsi, un neurochirurgien du CHU de Montpellier[10] affirmait fin 2007 : “J’opère des tumeurs, soit à droite soit à gauche de la tête, chez des personnes qui ont téléphoné au portable une à deux heures par jour pendant 10 ans, et en plus, lorsque j’ouvre le cerveau pour enlever la tumeur, je vois que les vaisseaux sanguins dans la région de l’oreille sont endommagés.”

Cette observation corrobore l’étude menée en 2001 par le professeur Pierre Aubineau[11], qui démontrait un phénomène similaire sur les rats exposés…

Une étude inutile… pour les utilisateurs

Au final, l’étude Interphone ne permet pas de répondre à la seule question importante pour chaque utilisateur : “Après combien d’heures d’utilisation mon portable risque-t-il de provoquer un cancer dans mon cerveau ?” Ou, pour ceux qui ont des enfants : “Après combien de temps leur portable provoquera-t-il un cancer dans leur cerveau ?”

Des scientifiques dannois, finlandais, suédois et britanniques ont lancé une autre étude, baptisée COSMOS[12]. Mais ses résultats ne seront pas disponibles avant… 2030, voire 2040. Autrement dit, quand il sera trop tard.

Après ce bel aveu d’impuissance mis en scène par la science officielle, ayons l’honnêteté de reconnaître que l’on ne peut pas s’appuyer sur elle pour prendre des décisions pertinentes. Il faut s’appeler Roselyne Bachelot ou Chantal Jouanno pour faire semblant de ne pas l’avoir compris[13].

Jean-Bernard Lévy le sait bien, lui. Le président du directoire du groupe Vivendi, propriétaire entre autres des opérateurs téléphoniques SFR et Maroc Télécom, de Canal Plus et des jeux en ligne Activision Blizzard, a l’outrecuidance d’annoncer que le premier axe stratégique de sa politique de développement durable est “la protection de la jeunesse” ! Et de déclarer, en substance, que la crise économique actuelle glisse sur son groupe comme du savon grâce aux 60 millions d’abonnés qui lui assurent un confortable revenu de 1,9 millions d’euros par an[14].

Albert Einstein le déplorait déjà[15] : “L’homme de science aujourd’hui connaît vraiment un destin tragique (…) Avec toute l’intelligence souhaitable, il comprend que, dans un climat historique bien conditionné, les Etats fondés sur l’idée de Nation incarnent le pouvoir économique et politique et donc le pouvoir militaire, et que tout ce système conduit inexorablement à l’anéantissement universel. (…) Mais l’évolution est telle qu’il subit sa condamnation au statut d’esclave comme inéluctable. Il se dégrade tellement profondément qu’il continue, sur ordre, à perfectionner les moyens destinés à l’anéantissement de ses semblables.”

L’on ne peut que ressentir un certain effroi de constater à quel point certaines entreprises internationales s’inspirent des méthodes nazies : propagande à destination du grand public, embrigadement de la jeunesse, complicité ou soumission des responsables politiques et des organes d’information, caution de médecins et de scientifiques[16].

Celles et ceux qui ne veulent pas être les dindons de la “farce” savent désormais que les effets du portable ne seront jamais officiellement “scientifiquement” prouvés. Pour assurer leur protection, il ne leur reste plus qu’une ressource : leur propre bon sens.

 

D’autres révélations sur l’étude Interphone figurent dans le livre audio Les jeunes et le portable : Alzheimer à 35 ans ?

Autre lecture conseillée : Téléphone portable : comment se protéger

Les documents soulignés en notes sont consultables en cliquant sur les liens ci-dessous.



[1]  Telle est la conclusion de l’article paru le 18 mai sur nouvelobs.com (voir l’article).

[2]  Voir le mail d’Arnaud et la réponse qui lui a été adressée.

[3]  Elisabeth Cardis : instigatrice depuis 1998, conceptrice et coordinatrice d’Interphone, ex-directrice du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) à Lyon, consultante à l’ICNIRP (Commission internationale de protection des rayonnements non ionisants). L’étude épidémiologique Interphone a été réalisée sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour tenter de déterminer s’il existe ou non un lien entre l’utilisation du téléphone portable et le cancer du cerveau. Elle a porté sur plus de 6 700 tumeurs cérébrales effectivement déclarées dans treize pays (2 765 gliomes, 2 425 méningiomes, 1 121 neurinomes acoustiques, 400 tumeurs de la glande parotide). Elisabeth Cardis a quitté le CIRC en 2008 pour rejoindre le CREAL à Barcelone (voir le résumé de l’étude en anglais).

Publications scientifiques : Cardis E, Kilkenny M (1999) International case-control study of adult brain, head and neck tumours : results of the feasibility study, Rad Prot Dosim 83(1-2) : 179-183.

Proceedings of an International Workshop, Exposure, Metrics and Dosimetry for EMF Epidemiology, National Radiation Protection Board, Chilton, UK, 7-9 september 1998, McKinlay, Repacholi MH (Eds).

[4]  Allemagne, Australie, Canada, Danemark, Finlande, France, Israël, Italie, Japon, Norvège, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni, Suède.

[5]  Pourcentage cité par la dépêche de l’agence de presse Reuters figurant sur le site nouvelobs.com.

[7]  Le docteur Martine Vrijheid, du CIRC, a comparé la mémorisation de 672 volontaires (déclarations faites six mois plus tard avec le questionnaire Interphone) avec les enregistrements des opérateurs et par le biais de téléphones portables enregistrant la durée des communications et a étendu ses recherches à des comparaisons de mémorisation entre des cas et des témoins inclus dans l’étude Interphone. Conclusion : des erreurs aléatoires par sous-estimations et surestimations, ainsi que d’importantes variations interindividuelles, introduisent des biais rendant impossible l’évaluation du risque exposition/tumeur (voir le résumé en anglais).

[8]  Le Quotidien du médecin, 23 avril 2002 (voir l’article).

[9]  Débit d’absorption spécifique. Pour savoir comment il est mesuré dans les modèles de portables commercialisés, lire l’interview du 4 juillet 2008.

[10]  Ce professionnel de santé semble manquer de courage pour rendre ses propos publics.

[12]  250 000 hommes et femmes de plus de 18 ans seront suivis pendant 25 ans pour étudier le risque de maladies chroniques du cerveau, de la tête et du cou, telles que les cancers cérébraux, les tumeurs bénignes, les maladies neurologiques et vasculaires, ainsi que les symptômes tels que les maux de tête, les troubles du sommeil, la dépression et les acouphènes. Dans le jargon des épidémiologistes, cela s’appelle une étude de cohorte (voir le résumé de l’étude en anglais).

[13]  La ministre de la Santé Roselyne Bachelot et la secrétaire d’Etat à l’Ecologie Chantal Jouanno ont déclaré dans un communiqué que ces résultats “ne mettent pas en évidence d’augmentation de risque lié à l’utilisation d’un téléphone portable. Ces données ont toutefois été collectées à une période où l’utilisation du portable était moins intense qu’aujourd’hui et il faut maintenir l’effort de recherche et d’expertise.” (voir le communiqué). Lien vers le site du ministère de la santé.

[14]  Propos tenus lors de l’assemblée générale du 29 avril 2010. Voir également la Lettre à nos actionnaires de mars 2010.

[15]  Voir un extrait plus long de ce texte tiré du livre Comment je vois le monde, Éditions Le Monde Flammarion, octobre 2009, p. 239-241.

[16]  Voir l’article Une Histoire qui se répète ? par Annie Lobé.

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