Adresse : CPVille
Lettre ouverte à | |
Monsieur François Hollande |
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| Président de la République Française |
Lettre envoyée en franchise postale |
Palais de l’Elysée |
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55, rue du Faubourg Saint Honoré |
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75008 PARIS |
Objet : Mise à l’arrêt des réacteurs nucléaires vieux de plus de 30 ans
Monsieur le Président de la République,
Vous avez pour objectif de réduire la part du nucléaire dans la production électrique française de 75 à 50 % à l’horizon 2025. Cela suffira-t-il à garantir la France contre l’accident nucléaire ? J’ai la certitude que non, et voici pourquoi.
En premier lieu, 83 % de notre parc nucléaire (soit 48 réacteurs sur 58) ont déjà atteint ou dépassé l’âge limite de fonctionnement prévu par ceux qui les ont construits, qui est de 25 ans et non pas de 30 ans comme on a voulu le faire croire.
Or, à partir d’une vingtaine d’années de fonctionnement, le risque d’accident nucléaire augmente chaque année de manière significative. C’est la raison pour laquelle au niveau mondial, où 107 réacteurs ont été arrêtés, leur âge moyen au moment de la fermeture était de 21 ans (voir la conférence Le vieillissement des centrales nucléaires françaises sur le site www.santepublique-edtions.fr)
En second lieu, plus de 30 % des employés d’EDF vont partir la retraite dans les quatre prochaines années, selon Henri Proglio, le Pdg d’EDF (Aujourd’hui en France, vendredi 5 octobre 2012, p.8).
Bertrand Reynier, co-directeur du master Nuclear Energy, formation qui réunit plusieurs établissements d’enseignement supérieur formant la nouvelle génération d’ingénieurs du nucléaire, affirme (Le Point, 18 octobre 2012, article : « Le filon du nucléaire » p. 118-120) :
« EDF et Areva ont beaucoup recruté dans les années 70. Avec les départs en retraite, 40 % des postes vont devoir être remplacés. »
La conséquence concrète de ces départs en retraite sera la multiplication de tous les dangers du fait de la perte de compétence, perte d’expérience, perte de mémoire de l’existant, et par conséquent, perte de maîtrise de la sûreté.
La fermeture de la centrale de Fessenheim ne suffira donc pas à garantir la France contre l’accident nucléaire.
La réalité des faits, c’est que la prolongation du fonctionnement d’une centrale nucléaire est à la fois un facteur d’accident majeur et une aberration économique : la vétusté augmente statistiquement et exponentiellement la probabilité de survenue d’un événement incontrôlable, et le coût de la maintenance couplé avec la durée des arrêts de tranche nécessaires à sa réalisation accroissent le prix de revient de l’électricité produite, de sorte que, soit la rentabilité est inaccessible, soit le prix de vente de l’électricité devient prohibitif.
Contrairement aux aléatoires événements climatiques et sismiques, dont la survenue n’est pas certaine, l’inéluctable vieillissement des centrales a pour corollaire la certitude statistique de l’accident majeur. La seule inconnue est la date à laquelle se produira cet accident.
Si un accident grave se produit pendant votre présidence, qui sera tenu pour responsable ? C’est vous qui serez tenu pour responsable.
Et en plus, vous n’êtes pas assuré, en tant que Chef de l’Etat, comme le révélait le rapport de la Cour des Comptes du 31 janvier 2012 Les coûts de la filière électronucléaire, p. 240-264 : « Le montant maximum de la responsabilité de l’exploitant est de 91,5 millions d’euros par accident survenant dans une installation nucléaire » (p. 251, 253 et 257).
Et « L’exploitant n’est pas tenu pour responsable des dommages causés par un accident nucléaire si cet accident résulte directement (…) de cataclysmes naturels de caractère exceptionnel » (p. 248).
Or, quel est le coût d’un accident nucléaire ? « L’AIEA a cherché à évaluer le coût de l’accident de Tchernobyl, qui s’élèverait à plusieurs centaines de milliards de dollars » (p. 241).
(p. 242, voir note 200) L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a évalué
entre 600 et 1.000 milliards d’euros
le coût d’un accident de type Tchernobyl ou Fukushima survenant en France incluant : « restrictions aux exportations, à la production agricole, surcoût de production ou d’achat d’électricité et baisse du tourisme notamment ».
Vous qui peinez à trouver 30 milliards d’euros en 2012 pour rassurer les banques qui détiennent la dette publique française, où trouverez-vous ces centaines de milliards d’euros en cas d’accident nucléaire sur le sol français ?
Comment ferez-vous pour m’indemniser si l’accident nucléaire me contraint à abandonner mon domicile ou entraîne la perte de mon emploi ?
Vous et moi savons que vous n’en aurez pas les moyens ! Un accident nucléaire provoquerait la ruine de la France et des Français !
Si vous souhaitez vous épargner le calvaire d’avoir à gérer une catastrophe nucléaire sur notre territoire durant votre présidence, il vous faudra planifier l’arrêt des réacteurs nucléaires dans un délai infiniment plus court que celui que vous envisagez.
L’ensemble des informations ci-dessus m’incite à vous demander solennellement d’arrêter dans les quatre ans qui viennent l’ensemble des réacteurs de plus de 25 ans, de redéployer les personnels les plus compétents car dotés d’expérience, sur les réacteurs laissés en fonctionnement. Quant à l’embauche de nouveaux salariés, elle se fera, bien sûr, mais dans l’optique du démantèlement.
« Le démantèlement demande des compétences importantes. Même si le nucléaire s’arrêtait du jour au lendemain, on aurait assez d’activité pour trente à quarante ans ! » prévient Serge Coulon, responsable du master Sûreté nucléaire aux Arts et métiers. (Le Point, 18 octobre 2012, p. 120)
Il y a là matière à rassurer les personnels d’EDF qui craignent pour leur emploi en cas d’arrêt rapide du nucléaire français, n’est-ce pas ?
Une catastrophe nucléaire n’a jamais de fin. Elle marquerait dans leur chair ces générations futures auxquelles vous voulez donner la priorité, car la radioactivité modifie l’ADN. Compte tenu de l’exiguïté de notre territoire à l’échelle des émanations radioactives, les femmes enceintes seraient forcées d’avorter, sous peine de donner naissance à des êtres humains monstrueux, comme ceux photographiés à Tchernobyl par Paul Fusco.
L’économie serait dévastée, les récoltes rendues non comestibles. C’en serait fini de la gastronomie et des vins français. Ceux qui le peuvent partiraient le plus loin possible, mais seraient ruinés car la valeur de leur patrimoine immobilier chuterait immédiatement et irrémédiablement. Quant aux autres, ils seraient livrés à eux-mêmes, aucune évacuation totale de la population n’étant possible.
Je refuse d’être l’otage d’un tel niveau de risque.
C’est pourquoi je vous demande, en tant que Président de la République, d’éviter à tout prix, sur le sol français, le cauchemar d’un accident qui provoquerait la ruine de notre beau pays.
L’arrêt des centrales est la seule garantie de « sûreté » nucléaire.
Quitte à mettre la main à la poche, je préfère que ce soit pour isoler mon logement ou abandonner le chauffage électrique afin de réduire ma consommation, plutôt que de jeter mon argent dans le puits sans fond d’un renforcement des circuits de secours des centrales nucléaires, dont rien ne garantit qu’ils seront à la hauteur en cas de problème.
À cet égard, j’attire votre attention sur l’affirmation de Monsieur André-Claude Lacoste, Président de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), qui présentait, fin juin 2012, un millier de prescriptions faites par son institution pour être mises en application d’ici 2018, en réponse à la question : « Une fois toutes ces mesures appliquées, la sécurité du parc nucléaire sera-t-elle assurée ? » (Le Monde, 29 juin 2012, p. 6) :
« Fukushima a confirmé ce que j’ai toujours dit : personne ne peut garantir qu’il n’y aura jamais d’accident nucléaire en France. »
Par conséquent, de l’aveu même de celui qui est chargé de la sûreté nucléaire en France, prolonger nos réacteurs jusqu’à 30 ans et au-delà, c’est jouer avec le feu.
L’arrêt des centrales avant l’accident reste donc la seule garantie de sûreté nucléaire, pour qui veut tirer pleinement les conséquences correctes de la déclaration du Président de l’Autorité de sûreté nucléaire.
Si un tsunami ou un tremblement de terre sont improbables sur le sol français (quoique la centrale du Tricastin serait mise à mal en cas de nouveau séisme identique à celui survenu en Provence le 11 mars 1909, une date qui n’est pas si lointaine…), la rupture de l’alimentation électrique ou de l’alimentation en eau, cause d’accident nucléaire, pourraient être causés, en France, par une tempête ou par la sécheresse.
Notre territoire n’est pas à l’abri d’un phénomène climatique exceptionnel aux conséquences dramatiques. Comme vous le savez, la catastrophe a été évitée de justesse au Blayais en 1999, à 42 kilomètres de Bordeaux. Mais rien ne prouve que si un tel incident se reproduisait aujourd’hui, son issue serait encore favorable.
Car en effet, depuis plus de deux décennies, la sous-traitance a eu un tel impact négatif sur les interventions de maintenance et les contrôles qu’un retour à l’emploi direct des techniciens par EDF, bien qu’il soit nécessaire, ne suffirait pas à garantir la France contre un accident nucléaire (voir Les dossiers du Canard Enchaîné n° 121 : « Nucléaire, c’est par où la sortie ? Le grand débat après Fukushima », p. 47-49).
Vous savez que le Réseau Sortir du nucléaire a révélé le 2 mai 2012 que des éléments fragiles à la rupture sont volontairement laissés en place par EDF dans le circuit primaire de 31 réacteurs. C’est la porte ouverte à un accident de type Fukushima !
Vous êtes donc acculé à gérer le vieillissement du parc nucléaire.
À propos de Fessenheim, l’ASN a fixé à l’exploitant EDF jusqu’au 1er juillet 2013 pour épaissir le radier, le plancher en béton situé sous chacun des deux réacteurs de Fessenheim, dont l’épaisseur n’est que de 1,50 mètres. Or, « On sait qu’un cœur complet fondu de réacteur (environ 100 tonnes) est capable, dans le pire des cas, de traverser près de 20 mètres de béton » (Science & Vie, Hors-série Spécial Japon, avril 2011, p. 21)
Tous les professionnels de la construction vous confirmeront qu’il est impossible d’épaissir le plancher d’une construction, quelle qu’elle soit, sans la détruire ? En admettant cela soit techniquement faisable, les taux de radioactivité du sol et du sous-sol de la centrale rendent ces travaux irréalisables.
EDF prétend que cette centrale lui rapporterait 300 millions d’euros par an. Mais en réalité cette centrale n’est pas et ne sera jamais rentable : les coûts, depuis l’origine, de sa maintenance et du manque à gagner résultant des arrêts de production nécessaires sont supérieurs aux recettes générées par la vente de l’électricité qu’elle a produite (« Une rentabilité inaccessible », Réseau Sortir du Nucléaire, Dernières nouvelles de Fessenheim, avril 2009).
EDF a investi 280 millions d’euros dans cette centrale depuis la catastrophe de Fukushima. Mais depuis le 5 octobre 2014, ses deux réacteurs sont à l’arrêt. L’un, pour arrêt de tranche (remplacement des barres de combustible) et l’autre, à cause d’une « surconsommation d’eau ». Autrement dit, il y a des fuites !
Un professionnel dont la mission, pour le compte d’un sous-traitant d’EDF, consiste à introduire dans les tuyauteries des centrales, avec l’aide de robots immunisés contre les radiations, des caméras qui contrôlent l’usure des matériaux. Cet homme qui ausculte l’ensemble des centrales françaises affirme qu’à la centrale de Fessenheim, « La situation n’est pas acceptable ». Il préconise de la fermer « sans délai ».
Mieux vaut, donc, stopper immédiatement l’exploitation de cette centrale, avant d’y gaspiller des fortunes pour la faire tourner deux ans de plus.
Il est tout aussi inutile de continuer à financer la construction de l’EPR, au coût unitaire de 6 milliards d’euros, qualifié de « réacteur le plus dangereux du monde » par le groupe d’experts Global Chance le 8 décembre 2011, et dont nul ne sait si et quand il fonctionnera (voir les révélations des Dossiers du Canard, p. 42-44).
Le remake du fiasco de Superphénix (ibid. p. 70) se profile déjà à l’horizon…
Concernant l’EPR finlandais actuellement en construction par Areva, la Finlande s’est engagée à le payer 3 milliards d’euros, mais pas un centime de plus. Le surcoût (on évoque déjà une ardoise totale de 6 milliards d’euros), est pris en charge par la Coface. Donc finalement, c’est vous et moi qui payons !
Ne serait-il pas plus raisonnable d’arrêter les frais et de construire rapidement des centrales au gaz pour gérer la transition avec les énergies renouvelables ?
EDF a mis à l’arrêt ses centrales électriques alimentées par le fioul lourd issu des raffineries du groupe pétrolier Total, situées sur le sol français. Il serait judicieux de remettre en service ces centrales en les équipant de nouveaux filtres antipollution et de systèmes de désulfurisation performants.
Au final, le gaspillage nucléaire nous aura coûté vraiment très cher, et il coûtera de plus en plus cher. Philippe de Ladoucette, le président de la Commission de régulation de l’énergie, a annoncé le 16 janvier 2012 une augmentation prévisible de 30 % du prix de l’électricité d’ici 2016. Et en effet, entre le 1er janvier 2012 et le 1er janvier 2014, nous sommes à la moitié du gué, avec 15,5 % d’augmentation en deux ans. Combien de familles ne pourront plus se chauffer dans cinq ou dix ans si le nucléaire et son corollaire, le chauffage électrique, restent le premier choix de la France ?
Il faut que la loi de transition énergétique programme la fermeture imminente des 9 centrales nucléaires comportant les 30 réacteurs qui ont plus de 30 ans. Cela nécessite
- de réduire immédiatement le gaspillage,
- de remettre en fonctionnement les centrales électriques au fioul,
- de lancer un ambitieux programme de recherche & développement sur les énergies renouvelables. Avec la société Vergnet, la France est déjà en pointe sur le petit éolien.
Dans l’attente votre réponse écrite, je vous prie de recevoir, Monsieur le Président de la République, l’expression de ma considération la plus haute.
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